Sobriété. Le mot de la rentrée !

par | 22/09/2022 | Billets d'humeur

Septembre 2022. Le mot court les média. Je suis exaspérée par cette mode qui s’empare de pépites de la langue française pour les cuisiner à toutes les sauces et les jeter en pâture à tous les étages. Souvent lourd de sens et puissamment évocateur, le mot pris d’assaut est copieusement essoré puis relégué aux oubliettes. Au suivant ! Comme la planète, le langage souffre lui aussi d’une consommation compulsive.

Prise d’otage et détournement sémantique

Dans mes vertes années, j’ai vu le mot « communication » se flétrir sous l’usage intensif et détourné qu’en faisait la publicité. Récemment, je me suis recueillie au chevet du mot « bienveillance ». A contre-cœur, au risque de passer pour démagogue, je l’ai provisoirement exclu de mon vocabulaire. La bienveillance qui suintait de toute part me faisait craindre les loups opportunistes planqués sous un masque indulgent. Fort à propos, alors que l’humanité vacillait, confinée, j’ai fait preuve d’une « résilience » remarquable pour surmonter le traumatisme de cette nouvelle prise d’otage sémantique.

Suremployé dans les médias, brandi en politique, répandu dans la rue, le mot « tendance » est galvaudé, vidé de son contenu, victime d’une société qui ne sait plus quoi inventer pour se rassurer. Allons-y pour la « sobriété » ! Du jour au lendemain, il y a urgence lexicale. L’heure a sonné de serrer la ceinture à notre appétit énergétique. Comme si la préoccupation ne datait pas d’avant-hier. Charge aux français de réapprendre vite les bonnes manières économes après un siècle de boulimie.

Appauvrir le langage, c’est restreindre la liberté

Mais c’est quoi, la « sobriété » ? Le Larousse propose : Modération. Qualité de quelqu’un qui se comporte avec retenue. Qualité de ce qui se caractérise par une absence d’ornements superflus. Est-ce à dire que la sobriété dénonce précisément l’acte de vandalisme qu’elle subit et la crue qui l’emporte ? Je m’exaspère. Car je chéris ce mot que les ondes usent déjà. A l’aulne des expériences passées, je parie que la notion de sobriété, écharpée sous le rabot d’une injonction culpabilisante, crispera les foules au lieu d’emporter une adhésion vitale et spontanée.

Maltraiter le langage, l’appauvrir, revient à limiter la liberté. Moins de nuances pour exprimer sa pensée, moins de mots pour dire ses émotions. Alors, à la table des échanges, la nappe rétrécit. Plus qu’une dérive, j’y vois une oppression.