J’ai rêvé d’une somptueuse jument noire, éclatante de santé, la robe luisante allumée de reflets fauves. Gracieuse, elle ployait l’encolure, baissait le chanfrein et plongeait son regard dans le mien. Mon reflet sur le globe sombre de l’œil. Elle a dansé à l’approche de ma main, esquivant souplement la hardiesse du geste, l’intention soudaine et le désir. Sous la peau, le gonflement des muscles, la perfection des volumes, un torrent de vie. L’eau et la braise. L’ombre et la lumière, reliées.
Qu’il est loin le poney harassé dont je rêvais, à la même période l’hiver dernier. Je le revois, adossé à une cabane de planches branlantes, seul dans un paddock aride. Le poil terne et miteux, d’un blanc sale, il se tenait tête basse. Exsangue. Aucune réaction à mon approche. Pas même un frémissement. Je restais à distance. Au fond, plus que pitié, il me faisait peur.
Un an sépare les deux rêves. Un an d’efforts pour restaurer ce qui fut abîmé. Ce qui était, comme le poney, à deux doigts de se désintégrer. Jusqu’où peut-on aller, détournant le regard, fermant l’oreille aux plaintes du corps ? Faut-il être victime – d’une pensée, d’une éducation, d’une société – pour devenir son propre bourreau ! Dans le jargon, poliment, on dit « burn out ». Trop de stress, pas assez de liberté. Et voilà que le fringant coursier s’est transformé en poney moribond.
Semaine après semaine, guidée par mes rêves, encouragée par la bienveillance d’une « jardinière de l’âme », j’ai remonté le temps, rembobiné le film. Il m’a fallu comprendre intellectuellement et sentir physiquement ce qui tient du dressage et qui, de traumas en encodages, a masqué la nature. Ma nature. Initiale, vierge et poétique.
La mer efface les empreintes sur le sable. Pour nous, c’est plus compliqué. Les tatouages restent. Heureusement, leur influence peut s’estomper si on se donne la peine d’accueillir la peur, la colère, la honte mais aussi la sensibilité, le talent, la joie. Il est une médecine. Elle est onirique. J’ai emprunté ce sentier, traversé les ronciers, bu à sa source. J’ai rêvé d’une jument à la robe d’ébène effleurée par la caresse de l’aube. Courait sous la peau l’énergie de la vie. Elle était belle. Elle était de ma taille, aussi.